Loi sur les compétences des collectivités : ce qui attend les agents territoriaux

La réforme des compétences des collectivités, que le gouvernement voulait ambitieuse, vient d'entrer en vigueur. Il ne s'agit ni de "l'acte 3 de la décentralisation", ni du "grand soir" promis aux départements. Pour autant, de nombreuses réorganisations, qui n'épargneront pas les personnels des communes et intercommunalités, vont découler de la mise en œuvre du texte. Tour d'horizon de ce qui attend l'ensemble des agents territoriaux.

La publication, le 8 août 2015, de la loi portant Nouvelle organisation territoriale de la République - popularisée par le sigle "NOTRe" - constitue l'épilogue d'un feuilleton aux multiples rebondissements, durant lequel les nerfs des agents territoriaux n'ont pas été ménagés.

Certains d'entre eux, en particulier ceux qui travaillent dans les départements, ont du avoir des sueurs froides lorsqu'à la fin du printemps 2014 le gouvernement a déposé ce projet de réforme au Parlement. Deux mois plus tôt, le 8 avril, le Premier ministre a dégainé son fusil lors de son discours de politique générale, proposant d'appuyer sur la détente pour que les conseils départementaux disparaissent en 2021. Puis, le secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale a annoncé la "dévitalisation" des départements. Avec le projet de loi, le gouvernement a mis sa menace à exécution. Les 42.000 agents techniques des collèges, les 30.000 agents chargés de l'entretien du réseau routier départemental, les 5.000 ouvriers des parcs et ateliers placés sous la responsabilité des conseils généraux doivent rejoindre les régions en 2017. Mais, en janvier et en février 2015, alors qu'approchent des élections départementales qui s'annoncent difficiles pour la majorité, le gouvernement a renoncé finalement à ces gros transferts. Ainsi, le Premier ministre a bien changé son fusil d'épaule. La volonté de parvenir à un compromis sur la réforme entre l'Assemblée nationale et le Sénat, qu'il a exprimée à l'automne, était réelle.

Au final, les départements font mieux que sauver les meubles. Tout en conservant leurs principales compétences, ils obtiennent la reconnaissance explicite de leur vocation en matière de solidarités, en direction à la fois des personnes et des territoires fragiles. La faculté qu'ils ont de mettre une assistance technique à disposition des communes et de leurs intercommunalités est même étendue. De plus, alors qu'ils font face à une forte concurrence, les laboratoires publics d'analyses gérés par les collectivités territoriales (c'est-à-dire principalement les départements) sont considérés, avec les quelque 3.000 agents qui y travaillent, comme "un élément essentiel de la politique publique de sécurité sanitaire."

Pour les départements, cela constitue un gage de survie au-delà de 2021. Mais, surtout, l'entrée en vigueur le 1er janvier 2016 de la nouvelle carte administrative de la France métropolitaine – suite à la promulgation le 16 janvier 2015 de la loi sur les régions - pourrait les remettre en selle. Avec ses 13 régions (Corse comprise) - au lieu de 22 - l'Hexagone devrait avoir besoin de ses départements, territoires adéquats pour l'exercice des politiques de proximité.

Il est vrai que le conseil départemental n'a désormais plus la faculté d'intervenir dans tous les domaines, puisque la "clause de compétence générale" - qui lui a été accordée en 1871 ! - est supprimée. Certaines actions exercées jusqu'à présent par les conseils départementaux pourraient donc se retrouver sans fondement légal. A moins que leur exercice ne puisse perdurer sur la base de la nouvelle compétence en matière de solidarité territoriale. En tout cas, les agents concernés semblent relativement peu nombreux. D'autant que les départements pourront continuer à agir en matière de culture, de sport, de tourisme et d'éducation populaire. Ces compétences sont en effet partagées entre toutes les collectivités et non dévolues spécialement à l'une ou l'autre*.

Le département est grignoté. Ainsi, les agents des départements qui changeront d'employeur dans les prochaines années semblent a priori assez peu nombreux. Ceux qui gèrent les déchets et les lignes ferroviaires d'intérêt local vont être transférés aux régions. Ceux qui mettent en œuvre aujourd'hui les politiques départementales en matière de transports interurbains vont prendre la même direction. Mais sans doute pas tous : si la compétence des transports scolaires relèvera désormais des régions, ces dernières pourraient confier par délégation son exercice aux départements, du fait de leur plus grande proximité.

Quant aux employés des agences départementales de développement économique, ils ne sont pas encore fixés sur leur sort. Les conseils départementaux peuvent continuer à les financer jusqu’au 31 décembre 2016. D'ici là, la région va organiser, dans le cadre de la conférence territoriale de l'action publique, "un débat sur l’évolution de ces organismes" avec les conseils départementaux, les communes et les communautés concernés.

Mais ce panorama doit être complété par des zooms. Sur la Corse‑du‑Sud et la Haute-Corse par exemple. Le 1er janvier 2018, les deux départements vont fusionner avec la collectivité territoriale de Corse pour ne faire qu'une seule collectivité. En 2003, une petite majorité des électeurs corses avaient rejeté un premier projet de fusion. Cette fois-ci, ils ne seront pas consultés. Rappelons aussi qu'avant la Corse, la Guyane et la Martinique deviendront toutes deux une collectivité unique, dès décembre prochain.

Autre zoom : sur les 11 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre ayant le statut de métropole depuis cette année (Bordeaux, Brest, Grenoble, Lille, Montpellier, Nice, Paris, Rennes, Rouen, Strasbourg et Toulouse) et les deux agglomérations qui, le 1er janvier 2016, rejoindront ce "club" (Aix-Marseille et Paris). A partir du 1er janvier 2017, chacune de ces métropoles prendra le relais du département pour l'exercice de plusieurs compétences**. Un nombre significatif d'agents sera donc concerné, d'autant que le dispositif de la loi "MAPTAM" de janvier 2014 est renforcé. Par des conventions, les départements concernés devront transférer ou déléguer à la métropole trois groupes de compétences (au choix parmi les domaines du social, des personnes âgées, du tourisme, de la culture, des équipements sportifs et des collèges). Par ailleurs, une convention sur la gestion des routes départementales devra organiser "le transfert de la compétence" à la métropole ou "préciser les modalités de [son] exercice par le département, en cohérence avec les politiques mises en œuvre par la métropole".

Economie et transports : la région accroît son emprise. La région n'hérite pas de toutes les compétences qui lui étaient promises initialement. Mais elle devient tout de même la principale collectivité en charge des aides aux entreprises: les départements n'agiront plus dans ce domaine qu'à titre tout à fait exceptionnel. De leur côté, les communes et les EPCI à fiscalité propre garderont la main sur les aides en matière d'immobilier d'entreprise. Toujours dans le domaine économique, la région sera en charge de l'accompagnement à la création ou à la reprise d'entreprise et elle pourra coordonner les acteurs des politiques de l'emploi.

Déjà responsables des trains express régionaux et des services de transports routiers d'intérêt régional, les régions vont devenir la collectivité en charge des transports hors des agglomérations. Et, plus encore qu'avant, elles seront l'échelon de la planification en matière d'aménagement du territoire et de développement économique ainsi que - c'est une nouveauté - pour la prévention et la gestion des déchets.

Les régions pourront, enfin, poursuivre le développement d'une politique en faveur de la pratique sportive. Pour ce faire, elles pourront à partir du 1er janvier 2016 s'appuyer sur les centres de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS). Au nombre de 17 aujourd'hui, ces centres seront implantés dans toutes les régions. Destinés à la formation des encadrants sportifs et des professionnels de l'éducation populaire, ainsi qu'à l'entraînement des sportifs de haut niveau, ils pourront "promouvoir des actions en faveur du sport au service de la santé et du sport pour tous" et "développer des activités en faveur de la jeunesse et de l'éducation populaire." Les régions auront en charge l'entretien, la construction et le fonctionnement des locaux et des infrastructures des centres. Elles seront aussi responsables de l'accueil, de la restauration et de l'hébergement en leur sein. Les agents de l'Etat aujourd'hui chargés de mettre en œuvre ces missions seront donc transférés aux régions.

Restructurations en vue dans les services des régions. Tout comme le département, la région ne pourra plus agir dans tous les domaines. Le champ des compétences partagées lui reste cependant ouvert. En outre, des attributions qui, hier, relevaient de la clause de compétence générale, sont expressément mentionnées par la loi : le "soutien à l’accès au logement et à l’amélioration de l’habitat", le "soutien à la politique de la ville, à la rénovation urbaine et aux politiques d’éducation, et enfin, l'aménagement et "l’égalité" des territoires. Dans le champ de ses compétences, la région est dotée d'un pouvoir réglementaire, dont la mise en œuvre est encadrée.

Les nouvelles responsabilités des régions vont avoir des conséquences relativement limitées sur les personnels. Si ceux-ci ont du souci à se faire, c'est plutôt en raison, à compter du 1er janvier 2016, de la fusion de 16 des régions actuelles pour former 7 nouvelles régions. 7 hôtels de région, dont la localisation sera connue d'ici au 1er juillet 2016, se substitueront aux 16 qui existent actuellement. Un nombre important des agents qui y travaillent seront donc amenés à changer de lieu de travail et/ou de poste. Le rapprochement des politiques menées par les régions fusionnées va aussi conduire les dirigeants régionaux à modifier les organigrammes. Avec l'objectif de réaliser des économies et d'éviter les doublons, bon nombre de services régionaux vont être restructurés.

Intercommunalité : la course à la taille. A l'instar des régions, les intercommunalités vont voir croître leurs compétences et, surtout, leur taille. Alors que, jusqu'à présent, elles devaient réunir au moins 5.000 habitants – une exigence qui connaissait même nombre d'exceptions en milieu rural et à la montagne – les intercommunalités devront comprendre désormais au minimum 15.000 habitants. Certes, ce seuil sera plus bas dans les départements les moins denses. Pour autant, près de 700 des 2.133 intercommunalités seront visées par une fusion (selon le Commissariat général à l'égalité des territoires). L'opération devra être menée tambour battant, puisqu'elle devra être bouclée fin 2016. Pour les situations les plus complexes, ce délai sera insuffisant, s'alarme l'Assemblée des communautés de France (ADCF). Par le passé, des fusions menées dans la précipitation et sans concertation ont en effet été vouées à l'échec. Dans de tels cas, l'absence d'un projet communautaire ne favorise pas la motivation des agents et nuit à l'ambiance de travail.

Les dispositions du projet de loi qui donnaient l'occasion au Parlement de décider d'ici le 1er janvier 2017 d'un nouveau pas vers l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires à l'échelle de l'intercommunalité - et non de la commune comme aujourd'hui - sont finalement passées à la trappe. Elles pouvaient conduire à la transformation de fait de l'intercommunalité à fiscalité propre en nouvelle collectivité territoriale.

Eau et assainissement, compétences bientôt obligatoires de l'intercommunalité. Dans les bureaux de vote, rien ne changera, donc. Pour autant, l'intercommunalité va continuer à prendre du poids. Les compétences des communautés de communes et d'agglomération sont en effet renforcées. Celles qu'elles exercent en matière de développement économique sont élargies. En outre, elles doivent obligatoirement s'occuper de la collecte et du traitement des déchets des ménages et déchets assimilés, ainsi que de l'aménagement, de l'entretien et de la gestion des aires d'accueil des gens du voyage. A partir du 1er janvier 2020, elles seront aussi en charge de la gestion de l'eau et de l'assainissement.

De plus, la constitution de centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) est encouragée, dans le respect toutefois des centres communaux d'action sociale (CCAS) existants. En effet, une commune n'est plus obligée de créer un CCAS, dès lors qu'elle compte moins de 1500 habitants. La commune qui se trouve dans ce cas a le choix entre trois possibilités : le maintien du CCAS, la gestion par elle-même des compétences sociales, ou encore le transfert au CIAS s'il existe ou s'il est en voie de création.

En parallèle de l'intégration par les compétences, l'intégration financière est encouragée avec l'assouplissement des modalités requises pour unifier les taux des impôts locaux au sein d'une même communauté.

Dans le prolongement de la loi de réforme des collectivités territoriales de décembre 2010, le texte incite, par ailleurs, à la suppression des syndicats de communes et des syndicats mixtes faisant "double emploi" avec les EPCI à fiscalité propre (notamment parce que leur périmètre est compris dans celui de l'EPCI).

L'instabilité que les agents des communes et de leurs groupements connaissent depuis 2012 du fait des évolutions de la carte intercommunale*** va se poursuivre, en déduit Johann Laurency, secrétaire fédéral de la Fédération Force ouvrière des services publics et des services de santé. D'autant que des réorganisations sont aussi à prévoir du fait de la recherche concomitante par les élus locaux de mutualisations plus poussées. La loi "NOTRe" ouvre d'ailleurs de nouvelles possibilités dans ce domaine.

Les garanties habituelles agents et leurs nouveaux droits. Dans ce contexte de forts changements, les agents bénéficient de garanties. Le transfert de fonctionnaires à une nouvelle collectivité territoriale ou à un établissement public n'a aucune conséquence sur leur statut, leur ancienneté et leurs droits à un avancement ou une promotion. De plus, ces agents conservent, "s'ils y ont intérêt", leur rémunération et leur régime indemnitaire. Ils conservent aussi, à titre individuel, les avantages collectivement acquis prenant la forme d'un complément de rémunération (mais seulement pour les dispositifs mis en place par les collectivités avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale). De leur côté, les agents contractuels transférés voient leur contrat de travail s'appliquer à l'identique pour toute sa durée.

La collectivité ou l'EPCI à qui sont transférés des agents peut accorder à ces derniers une indemnité de mobilité, à condition qu'ils changent de lieu de travail et que la distance aller-retour entre la résidence familiale et ce nouveau lieu de travail soit augmentée d'au moins 20 kilomètres. Le nouvel employeur peut aussi décider d'octroyer une indemnité aux agents qui lui sont transférés et doivent déménager au-delà d'un certain rayon.

Si l'agent bénéficie dans sa collectivité d'origine d'une aide pour sa mutuelle et d'un contrat pour le maintien de son salaire en cas d'arrêt maladie prolongé, il les conservera, "s'il y a intérêt", chez son nouvel employeur (en tout cas jusqu'à l'échéance de ces dispositifs, qui sont limités dans le temps). Prévu par la loi "NOTRe", ce nouveau droit devra cependant faire ses preuves.

Autre disposition de la loi favorable aux agents: le transfert de compétences d'une commune à un EPCI à fiscalité propre devra être précédé de l'établissement d'une fiche d'impact décrivant "notamment les effets du transfert sur l'organisation et les conditions de travail, ainsi que sur la rémunération et les droits acquis des fonctionnaires et des agents non titulaires concernés". La fiche sera soumise pour avis au comité technique. Dans les régions fusionnées, les comités techniques seront être eux aussi consultés sur "les conséquences du regroupement pour les personnels".

Des avancées pour les emplois fonctionnels. La loi apporte des garanties spécifiques aux agents occupant un emploi fonctionnel. Ils bénéficient du maintien provisoire de leur emploi et de garanties concernant leur rémunération. Sont concernés ceux qui exercent des fonctions de directeur général ou directeur général adjoint dans une région appelée à fusionner. Les agents exerçant un emploi fonctionnel de directeur général, directeur général adjoint ou encore de directeur général des services techniques, soit dans un EPCI à fiscalité propre ayant vocation à fusionner, soit dans une commune concernée par un projet de commune nouvelle, sont aussi visés.

Si elles constituent des avancées, ces mesures n'empêcheront toutefois pas que des directeurs exercent, après réorganisation, la fonction d'adjoint. Une situation que les intéressés ne vivent pas toujours très bien. Pour eux, il n'y aura pourtant aucune indemnité de déclassement, comme le souligne Johann Laurency.

Quel que soit leur employeur, les agents territoriaux n'en ont pas fini avec l'incertitude. Même après l'entrée en vigueur de la loi, "ils manquent de lisibilité sur leur devenir", déplore Johann Laurency. En cause notamment: les mutualisations qui se préparent tous azimuts. Et, si les élus veulent s'en servir, les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) mises en place par la loi "MAPTAM" de janvier 2014. Dans chaque région, elles peuvent conduire à une réorganisation à la carte des compétences des acteurs publics.

 

* Toutefois, "l'instruction et l'octroi d'aides ou de subventions" dans le champ des compétences partagées peuvent faire l'objet d'une délégation de la part de l'Etat ou d'une collectivité territoriale à une autre collectivité ou à l'Etat. Le but étant ainsi de disposer d'un guichet unique.​

** En tant que nouvelle collectivité territoriale, la métropole de Lyon est allée au bout de cette logique en se substituant complètement, sur son territoire, au département du Rhône.

*** Le nombre d'EPCI à fiscalité propre a été réduit de 5% au 1er janvier 2013, puis à nouveau de près de 15% au 1er janvier 2014.

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